Version imprimable L'INSPECTEUR

nouvelle- 2/4 - seconde partie

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 Et si tout cela n'avait pas lieu ? Qu'en serait-il de la gloire promise ? Il eut soudain envie de fuir comme on fuit une allée trop souvent parcourue: la vie ne valait-elle pas plus que ces infernales répétitions ? Cours, inspection, entretien, autocritique, quelle importance ? huit élèves sur dix attendent le prochain SMS tandis que les deux autres rêvent d'une vie meileure : après les cours ! La seule shose qui lui paraissait excusable, c'est de ne pas bouleverser l'Inspecteur dont la vie soucieuse était si réglée qu'il nuirait à sa santé de lui proposer autre chose que le menu du jour. Il ferait cours pour ne pas troubler son esprit.
Et puis ce serait ôter aux élèves un beau spectacle: quel bonheur de voir sombrer sous leurs yeux la plus belle marionnette de l'année: un prof de Lettres qui s'écrase tristement au milieu des huées, un albatros bien plus ridicule que celui de Baudelaire! Ce frisson incroyable que l'on ressent devant le tragique dont on peut se réjouir incognito et gratis: imaginez un prof qui se suicide au milieu du cours, qui perd la face, rougit, perd le fil, quelle aubaine pour un public qui ne sait rien d'autre du monde qu'internet, mp3, portable, ordi, vidéo et scènes de la vie conjugale le soir à la maison. Quel bonheur de se faire un petit prof comme jadis on se faisait un petit juif ou un petit nègre! Non, se dit-il, ils ne m'auront pas, je montrerai à ces pithécanthropes que je suis bien la brute d'animal dominant !
Au milieu des années quatre-vingt dix, le prof était devenu l'animal de compagnie des élèves, la plupart sponsorisés par leurs parents comme des petits sumos acclimatés aux pays d'Europe. Le soir, les familles, quand le programme télé était vraiment trop nul, se faisaient raconter les blagues du prof, ses derniers cris et hurlements, sa ridicule prétention à maintenir une discipline ou à enseigner. Dans certains cas, on jouait au prof en improvisant des imitations burlesques de ses cours, parfois les adultes poussaient leurs petits à coller des photos sur leurs blogs salaces, à imaginer des traques subtiles pour piéger le prof dans une situation embarrassante. Le coup le plus sublime, c'était l'accusation de pédophilie: en général, le prof finit toujours par se suicider. Les adultes ne sont jamais à court d'idées.
Depuis longtemps la société entière avait conspiré contre l'école: on ne veut plus d'éducation, de culture, de prétentions humanistes, il nous faut des boudins prêts à l'emploi et à la consommation. Aujourd'hui les profs qui prétendent encore assumer la dignité de leur rôle font penser à ces généraux retaités de l'armée qui continuent d'arborer leurs médailles cinquante ans après leurs exploits! leur combat est achevé depuis longtemps: on leur a préparé une place à l'hôpital psychiatrique, ou à défaut, on les reclassera comme gardiens de prison. Les plus résistants, on pourra toujours leur proposer une formation en " développement personnel  " pour servir de sous-officier de l'économie top-modèle.

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