Version imprimable VOL 747

nouvelle - troisième parie- 3/3

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 Justine Van Eyck était une jolie femme de cinquante trois ans, veuve depuis un an d'un mari pilote de ligne, un homme adoré dont elle avait eu trois enfants. Quand elle aperçut le visage de son voisin, - qui voyageait seul comme elle - elle éprouva une sorte de soupir de bien-être. Elle le trouva agréable et plutôt charmant; quelque chose de fragile et de frais semblait tempérer l'austérité de ses traits qui lui rappelaient vaguement un portrait du jeune Hermann Hesse qu'elle avait vu quelque part dans un livre, peut-être était-ce "Le Loup des steppes". C'était aussi la première fois depuis longtemps qu'elle se trouvait seule en compagnie d'un homme et cette proximité nouvelle lui donnait de l'assurance. 
Aurélien, dont c'était le premier long courrier, semblait maintenant très loin de ses appréhensions de novice: complètement rasséréné par cette présence féminine, il pouvait goûter à sa rêverie vaguement philosophique qui l'étreignait chaque fois qu'il eut à prendre l'avion. 
Il lui semblait qu'aucune gloire humaine ne pouvait se comparer au privilège de voler! Cette masse immense de métal arrachée à la gravitation, cette puissance de poussée des moteurs, cet élan vers l'espace, ce ventre géant porté par les airs: quelle équation rayonnante de puissance et de vulnérabilité! Tout est là, se disait-il avec une gratitude d'enfant, se confier à l'avion, c'est remettre son destin au pilote qui lui-même devait s'en remettre à plus grand que lui, quelque nom qu'on lui donne. Chaque homme joue sa vie comme on joue à la Roulette en misant le reste de sa fortune sur le chiffre ultime . Jamais il n'avait autant la sensation de "la vie, du mouvement et de l'être" comme maintenant! 
Si Dieu avait voulu la promotion de l'homme, s'en serait-pris autrement! N'est-il pas écrit:"vous serez comme des dieux"! Un vol réussi, n'est-il pas une grâce du survivant et une onction de victoire ? Il vivait en lui cette leçon de vol: le privilège des privilèges, c'est celui de redevenir mortel! C'est ressentir jusqu'au vertige la fatale disproportion entre nos milliers de petites constructions humaines, nos projets, nos conquêtes, nos privilèges et ce néant qui menace toutes nos vanités! Un cri de victoire suspendu entre les mains du destin.
Quel BONHEUR de recueillir dans la même palpitation notre poussière d'existence et la gloire de dominer! Notre vie au sol nous contraint aux petits pas, aux vues courtes, petites et humiliantes.
Ici, à huit mille mètres, le passager d'un vol peut, en contemplant les vastes territoires sous ses pieds, en laissant filer les distances et les fuseaux, contempler à distance les fragments de sa vie, qui lui revient comme un territoire insolite, un pays arbitraire, une figure mouvante d'un destin qui peut encore verser autrement, ailleurs, sur une courbe imprévisible, incommensurable.
Il regarda le visage de sa voisine qui semblait prise dans une longue et douce rêverie sans fin. Il ferma les yeux et pria le Très-Haut de lui accorder une seconde vie.
Le pilote annonça le début des manoeuvres d'atterrissage et on voyait dans les lointains la cité éclairée de millions de feux suspendus au-dessus de la mer. Jamais Bangkok n'avait paru si belle que ce matin-là. On aurait dit un immense gâteau d'anniversaire allongé sur les eaux indiennes. 


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