Version imprimable CONTEMPLATION

Il ne faut pas regarder le monde mais le contempler

 


Regarder révèle notre bêtise, contempler révèle notre activité la plus intelligente.

Il n'est rien de plus cruel que d'être dans la dépendance immédiate du regard:

je regarde, cela veut dire que je suis " en pilotage automatique ", l'image me tire 

à bout portant dans les yeux, et le tireur n'est pas innocent; il connaît le cortex,

il sait qu'il faut à tout prix l'éviter et que la meilleure façon de viser, c'est de mettre

de son côté le cerveau du plaisir, de l'instinct et de la sexualité.
 
Se retrancher du regard sans se mettre en cécité n'est pas possible ;
 
notre constituton autant que notre activité ont besoin du regard pour nous guider
 
dans l'espace concret du monde. Ce n'est pas parce que le regard risque de blesser, de tromper
 
ou d'hypnotiser notre esprit qu'il faut se crever les yeux : mieux vaut agir autrement.
 
Contempler le monde s'acquiert par exercice, par habitude, par goût; c'est un 
 
fruit inestimable de l'éducation qui prépare notre cerveau à l'accueil du monde
 
par l'accueil préalable des choses qui ne relèvent pas de l'expérience
 
et du vécu. Plonger ses yeux longuement dans l'Iliade, L'Odyssée, L'Enéïde,
 
Les Métamorphoses, les tragédies de Sophocle, la poésie de Saint John Perse,
 
de Jules Supervielle ou de Rimbaud, dans l'oeuvre de Shakespeare ou de Victor Hugo,
 
dans la philosophie de Martin Heidegger, de Peter Sloterdijk ou de Hegel,
 
dans les romans de Walter Scott, d'Alexandre Dumas, des soeurs Brontë
 
ou de William Styron, - et de tous les grands poètes du monde -,
 
nous constitue un cerveau de réserve pour sentir et juger, pour mémoriser et
 
exercer la réflexion. Le cerveau a un besoin urgent de distance par rapport à
 
l'expérience immédiate, la sensation tyrannique, la demande incessante
 
de réaction. Contempler, c'est créer en soi une chambre de protection et une chambre
 
de restitution créative du réel. Chaque vie, la plus infime, en soutient mille autres.
 
L'invisible est l'écorce vive du réel; la vraie beauté du monde est une remontée
 
de l'intime qui se fait à partir des mémoires délaissées de notre vie.
 
De notre vraie vie. Pas celle qui est absorbée, inquiétée, mobilisée pour 
 
"toutes fins utiles ". C'est ailleurs que les vraies choses se passent.
 
Voir en profondeur, c'est voir l'unique vie, c'est toucher l'efflorecence
 
de la vie, c'est ressentir l'originalité, la spécicifité, l'idiosyncrasie,
 
et pouvoir la replacer dans un ordre symphonique ou polyphonique.
 
Tous les grands hommes que j'ai connus - masculins ou féminins -
 
ont une caractéristique commune : ils ont joué du piano, souvent très jeunes.
 
Je crois que leur talent vrai n'est pas dans la maîtrise de l'instrument,
 
mais dans ce qu'ils ont reçu de cet instrument pour former leur sensibilité
 
et partant, leur manière de voir, c'est-à-dire de contempler les choses
 
avant de se risquer à les voir.

Je suis très ému par le baptême des chrétiens : je crois que

son sens profond réside en ceci: le petit de l'homme

vaut mieux que ce qu'il peut voir et découvrir de ses yeux,

il lui faut un deuxième cerveau, un cerveau sans expérience, un

cerveau de première main, un cerveau vierge de toute trace du monde,

un cerveau relié à l'Esprit, à la fondation du monde, au Christ,

et à toutes les humanités relevées, concentrées, habitées.

Etre constitué par Quelque chose de Solide est bien plus important

que d'avoir un patrimoine, une éducation, une intelligence, une beauté.

Contempler, c'est voir par delà les Apparences, la merveille unique et le secret.



 
 
 
 
 
 

Plateforme ViaBloga Modèle Glossy par N.Design Studio Adapté pour ViaBloga par Mitra avec l'aide d'Olivier
RSS - Articles RSS - Commentaires