GAGNER DE L'ARGENT, PAS SEULEMENT !

 



Une quinzaine en partance, tous volontaires et entraînés, sac à dos de 15 à 18 kg,
l'âme chevillée au corps, tous pélerins de Saint Gilles, bien encadrés par
des connaisseurs, deux vétérans de 20 ans; c'est une étape capitale car il faut
encaisser une montée raide, un aplat, puis une nouvelle montée, puis 
trois dénivelés du même type, de quoi perdre le courage des courageux et
faire palir les vieux routards du chemin !


Le corps se transforme peu à peu en mécanique au service de la transpiration,
de l'hydratation calculée et obsédante, de la respiration qui se cherche,
avec la peur d'être distancé : la pire souffrance est encore celle de l'amour propre;
tenir bon, non qu'il soit bon de tenir, mais parce que d'autres pourraient se moquer,
ou tout simplement vous abondonner sur place. La belle conquête du sommet
se transforme en conquête de l'image souveraine: tout faire pour ne pas perdre la face !

Et puis, c'est la grande descente caillouteuse vers Saint Rémy; on dévale à moitié ivre
ces pentes qui font mal; avoir survécu à ce cauchemar vous paraît si énorme
que vous voyez partout les cailloux rire et applaudir vos exploits. Tant mieux, car 
la Presse n'en parlera jamais !

Et quand tout est fini, qu'on arrive aux faux faubourgs de Saint Rémy, vous voilà
réduits à subir le cauchemar délicieusement imprévu de marcher sur l'asphalte pendant trois quarts d'heure !

Rien n'est plus douloureux que ces finales sur la route: les pieds y souffrent
et s'y cassent comme charbons ardents sur le goudron et toujours pas de 
photographes en vue !

Et pour finir, une récompense suprême vous attend: voir les femmes et les filles
se mettre au travail de la table du soir, de la cuisine et du repas pendant que
vous dîtes à celui qui est venu vous voir exprès, votre ami, votre Maître,
votre icône révérée : Veuillez, s'il vous plaît patienter une demie heure,
le temps que j'enlève mes chaussures de marche !

Et le soir, vous remettez au lendemain votre méditation sur les événements du jour,
car vous ne savez plus s'il faut être fier de l'exploit ou vexé
de ne pas avoir la bravoure et la générosités des femmes
qui ont souffert et marché pareillement que vous !