GAGNER DE L'ARGENT, PAS SEULEMENT !

 Quand j'étais élève au lycée Jean Bart de Dunkerque, pensionnaire, mon rêve était de fréquenter "les grands" de Terminale alors que je n'étais qu'en seconde: avec eux on pouvait causer philo, parler de sujets politiques, aborder toutes sortes de sujets réservés à l'élite de ceux qui, à défaut d'empoigner le monde, voulaient essayer de le penser, voire de le contester. On admirait Sartre, ceux qui grimpaient sur les poteaux de basket pour haranguer la foule des récréations politisées, certains passaient leur unique après-midi de liberté à étudier les écrits de Trotsky, de Lénine ou de Marx. On se bagarrait avec des mots et des idées, on revendiquait Rimbaud, Nizan ou Ivan Illitch. On se passionnait de littérature ou de politique, de philosophie ou de voyages vers l'inconnu, quitte à expérimenter avec belle inconscience "les portes de la perception." Certains penchaient vers " Let it be", d'autres vers " Sympathy for the devil, d'autres se laissaient emporter dans des volutes de fumée en écoutant Pink Floyd. Je porte un regard très critique sur cette période, notamment la génération "peace and love", mais nous vivions, luttions, voulions quelque chose : sans doute les "vieux" n'avaient pas pu s'imaginer qu'on pût désirer mieux que la paix d'après guerre, De Gaulle et à la limite, la chance d'un voyage à Moscou ou Pékin.
Chaque génération a peut être sa forme propre de cécité. A cette époque, je me souviens que l'élève que j'admirais le plus, ( le balaise en philo qui filait droit vers Hypokhâgne), lisait un livre qui me paraissait hors d'accès: " L'être et le néant", de Jean-Paul Sartre. L'être, ça me disait quelque chose, mais le néant ?; cette question du néant m'a longtemps chipoté parce qu'il est difficile, sans une formation philosophique, de s'en faire une idée. 
Aujourd'hui, j'ai le sentiment d'être confronté à ce néant, à chaque instant, comme un nuage de cendres venu d'un volcan jamais éteint.


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