Version imprimable PARADOXE DES RELATIONS

Qui est proche de qui ?

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On prête à Nietzsche cette parole aphoristique insolente : " Je vous déconseille 
l'amour du prochain et je vous recommande l'amour du lointain. "

Nous vivons sur un berceau d'illusions que nous aimons entretenir et sans doute
n'avons-nous pas complétement tort : " L'âme a des illusions comme l'oiseau a des ailes,
c'est ce qui lui permet de voler."  déclarait Victor Hugo qui s'y connaissait bien
en matière d'altitude... .

C'est sans doute dans la fréquentation des proches que la fabrique d'illusions tourne
à plein régime : quoi de plus naturel de penser que fréquenter quelqu'un nous le rend plus proche,
comme si j'appliquais sur lui une lumière en transparence ? 

Quoi de plus évident pour l'esprit de penser que la distance implique voile et disparition
dans la zone d'ombre, alors que la proximité nous donnerait un accès quasi instantané et 
immédiat à l'Autre ? Au fond, nous prenons les autres pour des quartiers de Lune: il y aurait
les croissants, les quartiers, les demies et les pleines lunes !

Cette attitude nous induit en erreur et nous dispose à la plus grande catastrophe
de l'histoire: celle, un jour, d'être reconnu pour stupide, déçu, trahi !

Fréquenter quelqu'un pourrait se résumer par l'allégorie suivante : c'est comme
rechercher sur une radio une station qui ne soit pas encombrée de parasites; une fois
que nous avons trouvé la bonne longueur, nous nous y fixons et nous décidons
d'ignorer toutes les autres stations. En allant un peu plus loin, nous dirions, que
fréquenter quelqu'un, c'est se mettre volontairement dans une posture d'ignorance,
car elle nous paraît plus confortable. Non pas que l'autre veuille tromper, non pas que nous soyons
bête de nature - quoique la chose ne puisse être  tout à fait être écartée - 
mais que la situation nous place intrinsèquement en dehors de toute saisie et 
de toute clarté. Sur ce point, fions-nous à l'immense travail de Peter Sloterdijk,
le philosophe des " Sphères " , dont je produis ici une citation bien trop brève :

" La sphère humaine .../..., est également constituée par la proximité d'un deuxième 
pôle psychique que l'on appelle " l'Autre" dans la langue courante, mais aussi, 
depuis peu, dans le langage philosophique. Si on ne l'interprête pas comme une chose 
contrôlable, cet autre est donné à l'avance comme quelque chose que je ne peux
jamais pénétrer et objectiver. Il me pénètre plus que je ne le pénètre.
Etrangement, il doit être proche de moi avant que je n'en fasse l'expérience
comme un co-étant qui demeure énigmatique à mes propres yeux. Il est très
important de comprendre que la proximité et l'impénétrabilité sont liès: c'est
la seule manière de comprendre que la position de principe de l'idéalisme,
qui a toujours associé la proximité à la transparence et la distance à l'opacité, 
était une erreur. "

                                Peter Sloterdijk, dans " Ni le soleil, ni la mort "
             Jeu de piste sous forme de dialogue acec Hans-Jürgen Heinrichs**
                                     chez Pauvert, p 308.



NB: Peter Sloterdijk enseigne à Karlsruhe et à Vienne; il est auteur d'une oeuvre
déjà immense, en grande partie traduite en français; il l'auteur, notamment,
d'une trilogie appelée SPHERES . 

Sphères I : Bulles
Sphères II : Globes
Sphères III : Ecumes

D'origine germano-néerlandaise, il ne fait aucun doute qu'il faut
prononcer Sloterdijk en prononçant la syllabe finale comme le son (ike)
de " bike " en anglais.







 

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