Version imprimable CACHETTES DU TEMPS SORTIES DE L'EAU

Prélude

Mots-clés :

 



L'Allemagne voisine avec sa très belle région du Bade Wurtemberg nous offre
de belles occasions de sorties: j'en profite autant que je le peux avec le complexe
de celui qui ignore la langue, voudrait la parler, s'y essaie parfois et multiplie la promesse
de s'y mettre une bonne fois pour toute...

La scène se passe à Bad Bellingen, petite capitale des eaux et des thermes dans une
géographie profuse et abondante: non loin, Badenweiler et Bad Krotzingen. Il fait beau, mais frais;
Une bonne centaine d'habitués venus de France,de Suisse ou des environs se partagent
les bassins : un à l'intérieur, deux à l'extérieur dans un joli encadrement de verdure et une
belle perspective sur les collines alentours. Nous sommes fin octobre, il est environ seize heures
trente et cela fait bientôt une heure que nous barbotons dans les eaux chaudes; nous profitons
de quelques heures paisibles arrachées aux vacances scolaires dites de "Toussaint" en France,
environ dix jours, qui constituent la première pause après un trimestre de travail: il fallait juste tenir le coup !

C'est ce genre d'occasion où une collègue documentaliste, Damara, et moi, 
aimons partager notre temps de détente dans l'eau, ce qui nous donne liberté de deviser
à loisir sur l'actualité du monde et celle de la vie si mouvante et insaisissable. Avec légéreté,
car nous aimons préserver notre bulle de naïveté , d'insolence et de jugements rapides.
Quand l'eau bouillonne, le cerveau ralentit et c'est plaisir de se sentir accordé aux bienveillances
renouvelées des eaux pendant que le corps s'intalle dans une quiétude cosmique, la tête
juste assez hors de l'eau pour se reposer sur la galaxie... 

Soudain, nous sommes suspendus à un visage de belle jeune femme, blonde, la trentaine
resplendissante, la tête relevée d'un chignon qui pointe à quinze mètres dans notre direction.
Damara la première la reconnaît, lui fait signe tandis que je reconnais Lorène que je n'ai pas vue depuis
neuf ou dix ans. Plus tard, nous bavarderons un peu; elle nous présentera ses deux filles de douze et neuf ans,
Hélène et Lisa; Depuis quelque temps, elles se disputent, nous confie la gentille maman : " elles s'entendaient toujours à merveille avant; et puis, depuis cet été, elles ont changé."

Je ressentai une forte sympathie pour Lorène; je n'avais jamais été proche d'elle; nous communiquions
peu. Dans cette proximité inattendue, la latéralité subite des corps faisait naître une
confusion mentale extrême: tout me revenait, la perte accidentelle de son mari, des bribes de souvenirs
de sa vie antérieure, à l'époque où Lorène ensaignait dans le même établissement, comme
professeure d'allemand. Une femme discrète, distinguée, souriante, sympathique. Sa réalité faisait
à nos yeux, l'effet d'une apparition: elle était belle, mystérieuse, nous donnait l'impression
d'une proximité retrouvée, une proximité étonnée, ahurie, sortie du néant comme d'une pièce
jetée dans la Fontaine de Trévi !

Le hasard nous jette en pâture de ces choses sur lesquelles nous n'avons point prise: elles sont
purement offertes; offrandes gracieuses du temps: elles n'appartiennent ni au passé, ni au présent,
ni à l'avenir, elles sont d'ailleurs,d'une contrée différente un peu comme le regard que nous avons
sur les patries étrangères de nos enfances: on s'y promène comme au paradis perdu 
des foires anciennes avec Père Noël authentique...

Ce que je retiens de cette aventure d'Outre -Temps, c'est la découverte suivante : l'arbitraire absolu de
nos rangements chronologiques, de le vie avalée en jours comptés et en heures déduites: SI je puis me sentir
subitement proche d'un événement lointain, cela signifie que notre mémoire rebat les cartes
de notre passé avec une indifférence absolue au-temps-qui-passe, qu'elle tient en réserve
d'autres combinaisons, plus intéressantes et subtiles, que cette mémoire utile, factice, adoubée
à Chronos. 

Il existe donc d'autres cachettes du Temps . Elles sont perdues pour nous . La croyance celtique que Proust
évoque dans les premières pages de " Du côté de chez Swann " est une manière
d'évoquer l'existence mystérieuse de ces rencontres avec " les âmes mortes ". 



 

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